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Mars 2020

Prophylaxie post-exposition à la rougeole : entre l’IgIV et d’autres produits à base d’Ig, lequel choisir?

Dre Juthaporn Cowan et Dr Bill Cameron, Maladies infectieuses, L’Hôpital d’Ottawa

Des cas de rougeole sont signalés sporadiquement au Canada. Le traitement de prophylaxie post-exposition (PPE) par immunoglobuline (Ig) offre une protection aux personnes vulnérables si l’Ig est administré en temps utile. En raison de l’évolution des connaissances sur les produits et préparations à base d’Ig et des changements aux recommandations, il existe une certaine confusion entourant les produits à base d’Ig qui peuvent et qui doivent être utilisés.

Le taux d’anticorps contre la rougeole des préparations d’immunoglobuline est en baisse depuis des années, à cause du contrôle des infections naturelles associées au virus de la rougeole et de la réexposition moindre des donneurs de plasma à la maladie. La prophylaxie post-exposition par Ig est une immunisation passive; on s’attend à ce que le produit contienne assez d’anticorps contre la rougeole pour assurer au receveur un seuil de protection qui dépassera les 120 mIU ou 0,12 UI /mL. Il est rassurant de constater que toutes les préparations d’IG doivent satisfaire à une concentration minimale réglementaire de 25 UI/mL d’anticorps contre la rougeole, ce qui suffit à procurer un seuil minimal bien au-delà du niveau de protection.

Une préparation intramusculaire (IM), GamaSTAN S/D, a longtemps été recommandée en PPE de la rougeole et de l’hépatite A. Il faut toutefois injecter un petit volume – 15 mL au maximum – de ce produit. Comme la dose recommandée est de 0,5 mL/kg, une personne qui pèse plus de 30 kg pourrait ne pas recevoir une protection suffisante en raison de la dose maximale limitée. Des préparations intraveineuses d’Ig, notamment Gamunex®, IGIVnex®, Gammagard® et Privigen® s’administrent sans dose maximale faible, de sorte qu’elles peuvent fournir une meilleure séroprotection aux personnes qui pèsent plus de 30 kg. C’est la raison pour laquelle on recommande maintenant 400 mg/kg d’IgIV en cas d’éclosion de rougeole ou d’exposition à ce virus. L’inconvénient de l’immunoglobuline est le besoin de surveillance active pendant la durée de la perfusion qui mobilisera un personnel formé pendant plusieurs heures. Les préparations sous-cutanées, comme Hizentra®, Cuvitru® ou Cutaquig®, n’ont pas encore été évaluées en PPE à la rougeole.

Messages à retenir:

Des produits d’immunoglobuline intraveineuse ou intramusculaire peuvent tous deux servir en PPE de la rougeole. L’IgIM pourrait ne pas offrir une pleine protection aux personnes vulnérables pesant 30 kg. L’IgIV est préférable chez les personnes vulnérables pesant  30 kg.

Références

Tunis MC, Salvadori MI, Dubey V, Baclic O. Updated NACI recommendations for measles post-exposure prophylaxis. Can Commun Dis Rep 2018;44(9):226-30. https://doi.org/10.14745/ccdr.v44i09a07

Vandeberg P et al. Measles antibody trough levels after treatment with immunoglobulin products and predicted levels assuming lower measles antibody specifications. TRANSFUSION Volume 58, p 3072, Décembre 2018

L’immunoglobuline intraveineuse (IgIV) pour traiter la thrombopénie induite par l’héparine (TIH)

Theodore (Ted) E. Warkentin, MD

Professeur, département de pathologie et de médecine moléculaire et département de médecine, Université McMaster; directeur régional, médecine transfusionnelle, Programme de médecine de laboratoire de la région de Hamilton; hématologue, département d’hématologie clinique de l’Hôpital général de Hamilton; membre principal, McMaster Centre for Transfusion Research, Hamilton, Ontario, Canada.

La thrombopénie induite par l’héparine (TIH) est une réaction prothrombique du système immunitaire à un médicament; elle est habituellement déclenchée par une exposition à l’héparine non fractionnée ou de bas poids moléculaire. La pathogenèse de la TIH découle d’anticorps qui ciblent une protéine cationique dérivée de plaquettes, le facteur plaquettaire T HIT 4 (PF4), lorsqu’elle forme des complexes multimoléculaires avec l’héparine (polyanionique). Les anticorps pathogènes, surtout de classe d’immunoglobuline G (IgG), suscitent une forte activation plaquettaire en formant des complexes immuns PF4-héparine-IgG qui créent des liens réticulés à la surface des récepteurs plaquettaires Fc. La TIH est l’un des problèmes qui causent le plus de thromboses en médecine; les patients qui en sont affectés risquent 15 fois plus d’en subir une que l’on pourrait attendre d’un tel tableau clinique. De plus, les patients vivent souvent des événements thrombotiques inhabituellement graves (p. ex. perte d’un membre en raison d’une thrombose artérielle ou gangrène veineuse; accident vasculaire thrombotique; nécrose surrénale découlant d’une thrombose dans une veine surrénale).

La TIH a été traditionnellement qualifiée de trouble lié à l’activation d’anticorps des plaquettes induite par l’héparine. On constate cependant un nombre croissant de TIH d’une autre catégorie — récemment appelée TIH auto-immune (TIHa) — dans laquelle l’activation des anticorps plaquettaires est induite à la fois par l’héparine et sans égard à l’héparine. Le tableau clinique des anticorps TIHa comprend : TIH d’apparition tardive (thrombopénie qui survient ou empire après l’arrêt de l’héparine); TIH persistante ou rebelle (thrombopénie qui se poursuit plus d’une semaine après l’arrêt de l’héparine); TIH induite par un « rinçage » hépariné (TIH déclenchée par exposition à une faible quantité d’héparine); et « syndrome de TIH spontanée » (trouble impossible à distinguer d’une TIH à l’étude du tableau clinique et des résultats sérologiques, mais en l’absence d’exposition antérieure plausible à l’héparine). De plus, la plupart des patients souffrant d’une TIH sévère (numération plaquettaire

Le traitement de la TIH reposait habituellement sur l’arrêt en temps opportun de l’héparine et l’administration d’un anticoagulant non héparinique de rechange, comme un inhibiteur du facteur Xa (danaparoïde, fondaparinux, rivaroxaban, apixaban) ou un inhibiteur direct de la thrombine (argatroban, bivalirudin, dabigatran). Un traitement novateur de plus en plus utilisé fait appel à l’administration concomitante d’une dose élevée d’immunoglobuline intraveineuse (IgIV), le plus souvent à une dose de 2 g/kg (habituellement à raison de1g/kg par jour, deux jours de suite). D’un point de vue biologique, le traitement s’explique parce que l’IgIV inhibe proportionnellement à la dose l’activation des anticorps plaquettaires typique de la TIH en bloquant les récepteurs Fc. Un récent examen narratif de la documentation (Warkentin TE. Exp Rev Hematol 2019;12:685-698) portant sur 36 cas de TIH traités par forte dose d’IgIV a permis de conclure que la plupart des patients ont rapidement retrouvé une numération plaquettaire suffisante, sans signe de thrombose.

Étant donné que la TIH cause souvent des thromboses et que l’IgIV en soi peut aussi provoquer des incidents thrombotiques, la faible fréquence de thrombose chez les patients atteints de TIH et traités par IgIV est compatible avec l’hypothèse que l’IgIV à forte dose contribue à diminuer rapidement l’hypercoagulabilité associée à la TIH, réduisant du fait même le risque subséquent et thrombose et de ses séquelles. En outre, les données in vitro indiquent que l’IgIV à forte dose est particulièrement efficace pour empêcher l’activation des anticorps plaquettaires sans égard à l’héparine, suggérant d’envisager ce traitement chez les patients qui présentent un tableau clinique de syndrome de TIHa.

Le Plan d’amélioration de la qualité des transfusions en Ontario décrit les résultats de l’utilisation des globules rouges à l’Hôpital communautaire de Cornwall

Patty Hebert, Association des laboratoires régionaux de l’Est de l’Ontario (ALREO), directrice provisoire du laboratoire, Hôpital Queensway-Carleton

En 2018, l’Hôpital communautaire de Cornwall (CCH) a mis en place un plan d’amélioration de l’utilisation des globules rouges (GR). Un audit de référence rétrospectif de l’utilisation des GR a été fait en suivant le document de travail du Plan d’amélioration de la qualité des transfusions en Ontario (PAQTO) destiné aux établissements. Les résultats de l’audit ont servi de point de comparaison avec les pratiques transfusionnelles actuelles de l’hôpital pour évaluer la conformité des pratiques avec les recommandations de Choisir avec soin et mettre en lumière toute transfusion inappropriée.

Cinquante (50) demandes de transfusion consécutives reçues en février et mars 2018 ont été analysées. Les demandes provenant du bloc opératoire, de la clinique de transfusion externe ou les demandes relatives à un patient en hémorragie ont été exclues. Au total, 91 unités de globules rouges ont été transfusées aux 50 patients. Quarante-trois d’entre eux (86 %) présentaient un taux d’hémoglobine prétransfusionnelle inférieur à 80 g/L; dans 15 cas, soit 30 %, une seule unité a été transfusée. Quarante-six (46) ou 51 % des unités transfusées auraient peut-être pu être épargnées. La cible de 80 % des patients ayant une hémoglobine prétransfusionnelle inférieure à 80 g/L a été respectée, mais la cible de 80 % des transfusions d’une seule unité, ne l’a pas été. Les données ont mis en lumière le besoin d’amélioration au chapitre des transfusions d’une seule unité.

Un autre audit rétrospectif de 50 demandes consécutives de transfusions reçues en février et mars 2019 a été fait en respectant les mêmes critères. Au total, les 50 patients ont reçu 86 unités de globules rouges. Quarante-sept d’entre eux (94 %) présentaient un taux d’hémoglobine prétransfusionnelle inférieur à 80 g/L; dans 18 cas, soit 36 %, une seule unité a été transfusée.

Le Dr Scharf, médecin-chef de l’Hôpital, a mis en place en 2019 un plan d’amélioration de la qualité (PAQ) pour l’établissement. Le plan était fondé sur les recommandations de Choisir avec soin visant à diminuer les épreuves, traitements et procédures inutiles dans le but ultime d’améliorer les soins prodigués aux patients. Le PAQ reprenait les lignes directrices en médecine transfusionnelle sur la transfusion d’une seule unité et seulement à des patients dont le taux d’hémoglobine prétransfusionnelle était inférieur à 80 g/L. Une augmentation annuelle de 10 % des transfusions d’une seule unité a été fixée comme objectif, jusqu’à l’atteinte de la cible de 80 %. Pour améliorer le taux de transfusions uniques, il a été convenu avec le Dr Scharf de procéder en médecine transfusionnelle au dépistage de toutes les demandes de transfusion de multiples unités de globules rouges. Le Dr Giulivi, hématopathologiste de l’ALREO pour le CCH, a guidé et aidé les technologistes des laboratoires de médecine transfusionnelle qui devaient faire le dépistage. Étaient exclus de cette procédure, les patients en hémorragie, les patients des cliniques externes et ceux des unités de chirurgie. Mohammed Shaheen, chef de l’Information de l’établissement, allait aussi modifier le système d’information du laboratoire pour refléter les recommandations de Choisir avec soin quant aux transfusions, afin d’aider les médecins qui devaient remplir des demandes de transfusion.

Le Dr Scharf a avisé les médecins de l’Hôpital du PAQ en médecine transfusionnelle; les procédures de dépistage ont commencé le 1er juin 2019. Au mois de septembre suivant, les progrès ont été évalués par un mini-audit des transfusions de globules rouges. Trente-et-une des 37 (31/37) transfusions, soit 84 %, avaient été d’unités simples, dépassant les attentes et la cible. Un autre audit de 50 demandes de transfusion aura lieu en février et mars de cette année pour déterminer si l’amélioration quant à la transfusion d’unités simples de globules rouges s’est maintenue.