Septembre 2019

Devrait-on utiliser du plasma de groupe A plutôt que de groupe AB dans les protocoles d’hémorragie massive?

Auteure : Michelle P. Zeller, MD, FRCPC, MHPE, DRCPSC, Professeure adjointe, Université McMaster, Directrice du programme de compétence ciblée en médecine transfusionnelle (DCC), Université McMaster, Directrice des activités de médecine transfusionnelle, Programme de médecine de laboratoire de la région de Hamilton, Médecin-conseil, Société canadienne du sang

Le plasma de groupe AB est le plasma de groupe universel; 73 % du plasma de ce groupe est transfusé à des patients qui ne sont pas de groupe AB1. Un sondage mené auprès de banques de sang américaines a révélé une augmentation de 27 % de la demande de plasma AB en 2011 comparativement aux données de 2006; cette augmentation n’était pas proportionnelle à celle observée pour les autres groupes de plasma 2 . Les données canadiennes font état de la même hausse disproportionnée dans l’emploi du plasma AB (figure 1). À peine 3 ou 4 % des donneurs canadiens et américains sont de groupe AB, ce qui fait du plasma de ce groupe une denrée rare de plus en plus recherchée.

Comment expliquer cette augmentation de la demande?

La mise en œuvre de protocoles d’hémorragie massive (PHM) devient la norme de soins dans divers milieux, ce qui améliore à la fois l’utilisation du sang et les chances de survie des patients, en plus de réduire le gaspillage des produits sanguins3–5. L’adoption accrue de PHM s’accompagne d’une hausse concomitante disproportionnée d’utilisation de plasma AB comparativement au plasma d’autres groupes. Une étude multicentrique internationale révèle que le plasma transfusé à l’Urgence forme le groupe dans lequel le pourcentage le plus élevé de plasma AB a été transfusé à des receveurs non AB1. Dans un effort de conservation du plasma de groupe AB, on constate une tendance à utiliser plutôt le plasma de groupe A dans les PHM 6.

Quels sont les risques associés à la transfusion de plasma de groupe A à un receveur d’un groupe incompatible?

Le plasma de groupe A contient des anticorps anti-B; son administration à un patient de groupe B ou AB pourrait susciter une réaction transfusionnelle hémolytique aigüe. Les anticorps du donneur s’attachent aux globules rouges du receveur, activent une cascade du complément qui provoque l’anémie et, dans les cas graves, peut causer une coagulation intravasculaire disséminée, une insuffisance rénale aigüe et la mort. Au Canada, le passage du plasma de groupe AB au plasma de groupe A dans les MPH pourrait avoir des conséquences néfastes chez environ 12 % de la population qui est de groupe B ou AB.

Pourquoi envisager la transfusion de plasma incompatible s’il y a des risques?

On transfuse régulièrement du plasma incompatible, tout comme on transfuse des plaquettes à des receveurs sans vérifier la compatibilité des groupes sanguins. Selon des études sur la transfusion de plaquettes de groupes sanguins incompatibles, le risque de réaction hémolytique est extrêmement faible 7–10. Tous les rapports de réactions hémolytiques mentionnent la transfusion de produits contenant du plasma de groupe O; aucun cas documenté d’hémolyse ne porte sur des produits contenant du plasma de groupe A7,8,10 . Comme effet de protection supplémentaire, les patients traumatisés peuvent présenter une immunosuppression acquise 11. En outre, la transfusion de sang entier de groupe O à des patients traumatisés dont le groupe sanguin n’est pas connu n’a pas suscité d’hémolyse ou d’insuffisance rénale chez les receveurs d’un groupe autre que O12.

Qu’ont découvert ceux qui utilisaient du plasma de groupe A dans un PHM?

Selon une revue rétrospective menée dans un seul centre sur tous les patients traumatisés ayant reçu d’urgence du plasma (de groupe A) de 2008 à 2011, il n’y a pas de différences importantes quant aux dénouements chez 254 patients, dont 35 (14 %) avaient reçu des transfusions de plasma incompatible quant au groupe sanguin et 219 (86 %) avaient reçu du plasma de groupe sanguin compatible 8 . Une étude rétrospective multicentrique menée dans huit (8) centres de traumatologie américains de 2012 à 2016 a comparé des transfusions de plasma compatible ou incompatible (plasma de groupe A à des patients de groupe B ou AB) dans le cadre de PHM. Elle regroupait 1573 patients (92 % de groupe compatible contre 8 % ou 120 de groupe incompatible) et n’a révélé aucune réaction transfusionnelle hémolytique, aucune différence nette quant au syndrome de détresse respiratoire aigüe, aux accidents thrombotiques, à la septicémie, à l’insuffisance rénale aigüe et aucune différence nette de mortalité après 6 ou 24 heures, ni au bout de 28 jours13.

Un sondage sur l’emploi de plasma de groupe A mené dans 61 centres de traumatologie (surtout primaires) a révélé que la plupart des établissements gardaient en stock du plasma de groupe A qui pouvait être mis en circulation immédiatement14. La plupart (63 %) se servent de plasma de groupe A à la première étape de réanimation de patients traumatisés dont le groupe sanguin est inconnu; dans la moitié des établissements, le recours à du plasma de groupe A est une pratique relativement nouvelle qui s’est amorcée en 2015; 62 % ne limitent pas la quantité de plasma de groupe A transfusé à des patients traumatisés, et seulement 21 % pensent à faire un titrage anti-B lorsqu’ils choisissent des unités plasma de groupe A14.

Les chercheurs de l’étude STAT (SafeTy of the use of group A plasma in Trauma), une vaste étude multicentrique, ont procédé à une collecte rétrospective de données provenant d’adultes blessés de groupe sanguin A, B ou AB admis successivement dans des centres de traumatologie primaires ou secondaires6. Des résultats ont été obtenus de 17 centres de traumatologie (16 aux États-Unis et 1 au Royaume-Uni) entre 2008 et 2015 au sujet de 1163 patients traumatisés : 809 (70 %) patients de groupe sanguin A dans le groupe identique, 354 (30 %) patients de groupe sanguin B ou AB patients dans le groupe incompatible. Les chercheurs n’ont trouvé aucune différence nette quant aux taux de mortalité à l’hôpital, et aucun syndrome de détresse respiratoire aigüe n’a été signalé (même si les marqueurs hémolytiques n’ont fait l’objet d’aucune collecte spécifique).

Que se passe-t-il dans votre établissement? Allez-vous passer à un autre protocole?

Certains centres de traumatologie canadiens ont déjà modifié leur protocole d’hémorragie massive et se servent de plasma de groupe A, alors que d’autres continuent à privilégier le plasma de groupe AB. La transfusion de plasma de groupe A en cas d’hémorragie massive ne constitue pas encore le traitement standard; les preuves demeurent rétrospectives, et les données sont d’observation. Cela n’en reste pas moins une stratégie clé à garder à l’esprit en cas de pénurie de plasma AB.

Figure 1. Tendance d’émission de composants sanguins frais – Q4 2017-2018

(Source : Société canadienne du sang)

  1. Zeller MP, Barty R, Dunbar NM, et al. An international investigation into AB plasma administration in hospitals: How many AB plaSma units Were INfused? The HABSWIN study. Transfusion. 2018;58(1):151–157.
  2. Yazer M, Eder AF, Land KJ. How we manage AB plasma inventory in the blood center and transfusion service. Transfusion. 2013;53(8):1627–1633.
  3. Cotton BA, Au BK, Nunez TC, et al. Predefined massive transfusion protocols are associated with a reduction in organ failure and postinjury complications. J. Trauma – Inj. Infect. Crit. Care. 2009;66(1):41–48.
  4. Cotton BA, Reddy N, Hatch QM, et al. Improvement in Survival in 390 Damage Control. Ann. Surg. 2013;254(4):1–15.
  5. Khan S, Allard S, Weaver A, et al. A major haemorrhage protocol improves the delivery of blood component therapy and reduces waste in trauma massive transfusion. Inj. Int. J. Care Inj. 2013;44(5):587–92.
  6. Dunbar NM, Yazer MH, Carey PM, et al. Safety of the use of group A plasma in trauma: the STAT study. Transfusion. 2017;57(8):1879–1884.
  7. Mair B, Benson K. Evaluation of changes in hemoglobin levels associated with ABO-incompatible plasma in apheresis platelets. Transfusion. 1998;38:51–55.
  8. Zielinski MD, Johnson PM, Jenkins D, Goussous N, Stubbs JR. Emergency use of prethawed Group A plasma in trauma patients. J. Trauma Acute Care Surg. 2013;74(1):69–74; discussion 74-5.
  9. Cooling L. Going from A to B: The safety of incompatible group A plasma for emergency release in trauma and massive transfusion patients. Transfusion. 2014;54(7):1695–1697.
  10. Cooling L. ABO and platelet transfusion therapy. Immunohematology. 2007;23(1):20–33.
  11. Kimura F, Shimizu H, Yoshidome H, Ohtsuka M, Miyazaki M. Immunosuppression following surgical and traumatic injury. Surg. Today. 2010;40(9):793–808.
  12. Seheult JN, Triulzi DJ, Alarcon LH, et al. Measurement of haemolysis markers following transfusion of uncrossmatched, low-titre, group O+ whole blood in civilian trauma patients: initial experience at a level 1 trauma centre. Transfus. Med. 2017;27(1):30–35.
  13. Stevens WT, Morse BC, Bernard A, et al. Incompatible type A plasma transfusion in patients requiring massive transfusion protocol: Outcomes of an Eastern Association for the Surgery of Trauma multicenter study. J. Trauma Acute Care Surg. 2017;83(1):25–29.
  14. Dunbar NM, Yazer MH. A possible new paradigm? A survey-based assessment of the use of thawed group A plasma for trauma resuscitation in the United States. Transfusion. 2016;56(1):125–129.


Symposium de soirée – Choisir avec soin le plasma : quand transfuser ou non du plasma

Auteure : Stephanie Cope, Coordonnateur régionale de projet, RRoCS, Allison Collins MD FRDPC, médecin coordonnatrice de projets cliniques, RRoCS

Le symposium du printemps est un événement organisé par le Réseau régional ontarien de conservation du sang (RRoCS) en collaboration avec la Société canadienne du sang (SCS) depuis 2007. Il s’agit d’une activité reconnue d’enseignement médical continu pour les personnes qui œuvrent dans le domaine et pour les personnes intéressées à la médecine transfusionnelle ainsi que pour les cliniciens qui prescrivent du sang et des produits sanguins.

Le thème de cette année, l’utilisation du plasma congelé, s’était imposé à la suite des audits provinciaux sur ce produit (menés par le RRoCS en 2008 et en 2013); ils avaient en effet révélé un taux élevé de mauvaise utilisation du plasma, même après la rédaction et la transmission aux hôpitaux ontariens suivant chaque audit de recommandations et d’outils conçus pour augmenter l’emploi pertinent du plasma. Les cinq erreurs les plus fréquentes quant à l’emploi du plasma colligées à partir des résultats de l’audit de 2013 ont été étudiées et ont formé la base du symposium. Pour tenter d’élargir la portée de notre intervention, nous avons communiqué avec Choisir avec soin Canada qui a accepté de collaborer avec nous. Choisir avec soin Canada a mis sur pied une campagne qui incite à éviter les analyses, traitements et procédures inutiles, entre autres l’utilisation sans raison de sang et de produits sanguins.

Les 5 emplois inappropriés du plasma les plus fréquents (RRoCS, 2013)

  1. Renversement des effets de la warfarine ou carence en vitamine K, en l’absence de saignement ou d’intervention invasive majeure urgente (dans les 6 heures)
  2. Traitement d’anomalies bénignes aux résultats d’analyse de laboratoire qui ne sont pas associées à un risque accru de saignement
  3. Reversement d’un problème de coagulation associé à un RIN élevé en l’absence de saignement ou d’intervention invasive urgente
  4. Renversement des effets de l’héparine
  5. Renversement rapide d’une anticoagulothérapie

Comme l’utilisation inutile de plasma n’a que très peu changé depuis la publication de recommandations et d’outils en 2013, le comité de planification a décidé d’inclure un petit exercice de rétention des connaissances pour s’assurer de répondre aux besoins de nos participants. Des scénarios de cas cliniques, abordant les cinq catégories ci-dessus, ont été intégrés aux sondages envoyés aux participants avant et après le symposium.

Exemple de scénario de cas clinique

L’insuffisance hépatique suscite un rééquilibrage du système hémostatique, de sorte que les patients risquent de faire une hémorragie ou une thrombose. Le RIN ne permet pas de prédire le risque d’hémorragie chez de tels patients. Il n’y a aucun avantage confirmé à la transfusion préventive de plasma dans le cadre d’interventions invasives mineures, notamment insertion d’un cathéter central, paracentèse ou thoracentèse, qui sont associées à un très faible risque de saignement. Comme la transfusion de plasma peut entraîner des réactions indésirables, il vaut mieux la réserver aux rares cas d’hémorragie pendant ou après une intervention. Les risques associés à une transfusion préventive de plasma dans ce contexte comprennent une surcharge liquidienne (TACO), une hausse de la pression dans la veine porte (qui peut provoquer ou exacerber le saignement), auxquels s’ajoutent les risques associés au délai de l’intervention. Pour obtenir des renseignements complémentaires, veuillez consulter la présentation de la Dre Callum dans la bibliothèque des présentations du RRoCS ici.

Le RRoCS continuera à promouvoir et à soutenir les activités visant à améliorer l’utilisation du sang et des produits sanguins et se servira des audits pour mettre en lumière des façons d’en optimiser l’emploi. La formule de nos symposiums printaniers a évolué au fil des ans pour s’adapter aux besoins de notre public cible et de notre communauté. Avez-vous assisté à cet événement? Nous accordons de l’importance à toute rétroaction au sujet du symposium de cette année ou d’années antérieures et accueillons favorablement toute suggestion d’activité future!

Contactez-nous dès aujourd’hui!


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